Lettre ouverte à Martine Aubry, maire de Lille, mai 2018.

Restauration Faidherbe

Madame,

À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Louis Faidherbe, né à Lille le 3 juin 1818, votre équipe municipale a pris la décision de restaurer la statue équestre érigée en son honneur place Richebé, en surplomb de la place de la République.

La restauration de cette statue à grands frais, mais sans consultation des habitants, nous scandalise. Ignorez-vous qu’elle glorifie, en la personne de Louis Faidherbe (1818-1889), l’une des grandes figures du colonialisme français ?

Ce monument, direz-vous, ne rend pas hommage à la carrière coloniale de Faidherbe mais aux « hauts faits du général » pendant la guerre franco-prussienne de 1870 [1]. Peut-être. Mais cette description tronquée oublie l’essentiel.

Certes Faidherbe a « résisté » – pendant trois mois – à l’invasion prussienne de la France. Mais il a consacré le reste de sa carrière – des décennies – à l’invasion française de l’Afrique.

Cette conquête, qui l’a mené en Algérie puis au Sénégal, a pris la forme, selon ses propres termes, d’une « guerre d’extermination ». Ce déchaînement de violence et de terreur a coûté la vie à d’innombrables Africain.e.s et abouti à l’imposition dans ces pays d’un système d’oppression raciste que nombre d’historiens qualifient à juste titre de « crime contre l’humanité ».

Partout dans le monde, de Johannesburg à Barcelone, de New York à Berlin, des municipalités ont entrepris de déboulonner les statues et de débaptiser les rues qui font l’apologie des crimes esclavagistes et colonialistes. À rebours de l’histoire, la réhabilitation de la statue de Faidherbe, insulte permanente à la mémoire des peuples colonisés et de leurs descendant.e.s, est une faute.

À l’occasion du Forum social mondial de Dakar, en 2011, vous appeliez les Européens à « regarder en face leur histoire », ce qui supposait selon vous « de reconnaître les crimes de l’esclavage et les drames de la colonisation ». Estimant à raison qu’il n’y a pas d’« aspects positifs » à chercher dans des systèmes politiques criminels, vous ajoutiez : « Il faut condamner la colonisation sans réserve [2]. »

Il est temps de passer de la parole aux actes.

Nous, descendant.e.s de colonisé.e.s, militant.e.s anticolonialistes et habitant.e.s antiracistes demandons le retrait de la statue de Louis Faidherbe et de tous les symboles qui glorifient le colonialisme dans les espaces publics lillois. Nous demandons qu’à leur place soit rendu hommage aux victimes de la colonisation et à celles et ceux qui y ont héroïquement résisté.

L’association Survie Nord, le Collectif Afrique, l’Atelier d’histoire critique, le Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), le Collectif sénégalais contre la célébration de Faidherbe.

[1] Présentation de la statue de Faidherbe sur le site officiel de la mairie de Lille (www.lille.fr/Nos-equipements/Statue-de-Faidherbe).

[2] « L’anti-discours de Dakar de Martine Aubry », AFP, 9 février 2011.